Interview d’Amélie Fontaine
L’exposition “Pain perdu” d’Amélie Fontaine, artiste en résidence au Frac Picardie, rassemble des drapeaux peints, céramiques et dessins, ainsi que des croquis préparatoires, qui montrent la variété des techniques et des supports investis par l’artiste, en parallèle de son travail d’édition.
Pouvez-vous nous expliquer votre parcours ? (quelles études, écoles avez-vous faites ?, ..)
J’ai étudié le graphisme trois ans à l’EPSAA à Ivry-sur-Seine, avant d’entrer en
quatrième année des arts décoratifs de Paris, en section image imprimée. J’y ai
appris la gravure et la sérigraphie.
Comment définiriez-vous votre pratique ?
Il y a deux aspects dans mon travail : ma pratique personnelle du dessin, marquée par les techniques d’impression, une sensibilité à l’artisanat et au livre. D’autre part, il y a le travail de commande, mais finalement je ne le déconnecte pas totalement de mon travail personnel, parce que j’ai l’impression que les deux s’alimentent et se répondent. J’aime travailler avec une contrainte, devoir trouver des solutions nouvelles à des problèmes qui se posent. Je peux aussi ajouter la pratique de la céramique depuis plusieurs années, et particulièrement la poterie utilitaire. La fabrication d’objets qu’on peut utiliser au quotidien a été le lien qui me manquait avec l’art en général, une manière de se reconnecter avec quelque chose de plus intime.
Le nom de l’exposition que vous présentez au Frac Picardie s’intitule Pain
perdu. Pouvez-vous nous expliquer ce choix ? Comment l’avez-vous conçue ?
J’ai fait des recherches récemment sur les pains de cérémonie en Europe de l’est, j’en avais d’ailleurs observé quelques uns au MUCEM à Marseille (dont un qui représente Napoléon). J’ai aussi découvert la recette du Suisse de Valence, un gâteau traditionnel en forme de garde suisse. J’ai donc commencé à fabriquer des pains en forme de personnages pour une restitution de résidence ; ça me plaisait bien qu’on puisse les manger et que l’oeuvre soit amenée à disparaître. Il y avait aussi cette envie de convivialité, de créer un moment de partage.
Le pain, cela vient donc de là. Mais le pain perdu, c’est aussi un dessert qu’on crée en réutilisant des restes de pain. Il y a cette idée de transformer pour en faire quelque chose de nouveau, de ne pas laisser les choses se perdre, qui me semble proche de ma démarche, quand j’utilise mes croquis pour les transformer dans mon travail.
Le point de départ, ça a donc été ces pains ; j’y ai ensuite ajouté une bannière créée pour une toute récente fête du pain, des drapeaux réalisés lors d’une résidence à Nantes, des céramiques… dont des poupées qui répondent aux personnages des drapeaux. De plus, depuis le départ je voulais mettre l’accent sur la démarche de documentation puis imagination, en montrant une sélection de carnets de croquis.
Quelles sont vos inspirations ? Dans vos dessins, y a-t-il une phase d’observation ou de documentation préalable ?
Mon inspiration vient de la faune et la flore ; mais elle est souvent transformée pour créer au fil du temps une histoire naturelle personnelle un peu fantasmée. Le point de départ c’est souvent la réalité : quelque chose que j’ai pu observer dans un musée, dans la nature, pendant un voyage…on peut donc dire qu’il y a une part documentaire importante. D’ailleurs, le documentaire vidéo m’intéresse beaucoup, on trouve des choses très intéressantes et qui osent expérimenter des nouvelles formes de narration, de montage (je pense à la plateforme de documentaire Tenk par exemple). L’artisanat aussi, avec toutes les techniques anciennes, est une source inépuisable. Je collectionne également les images de poteries anthropomorphes. Dans mon travail, il y a toujours une première étape, qui est celle du croquis. Cette base constitue une documentation qui me permet ensuite de dévier vers l’imagination. J’aime beaucoup cette phase de prise de notes dans un carnet, point de départ d’un cheminement plus long. Au début on observe et on a du mal à synthétiser ; le dessin aide à comprendre comment les choses sont faites. Ensuite, on est capable de simplifier, d’aller à l’essentiel pour obtenir une image plus forte, mais il y a toujours cette phase de digestion où on tâtonne, où il faut savoir prendre le temps sans vouloir un résultat immédiat.
La particularité de votre travail et que vous êtes ouverte à différentes
pratiques. Pourquoi cela est-il important pour vous ?
J’aime changer de support et de technique, ce qui me place dans une situation de grand inconfort, car la plupart du temps ce sont des techniques que je ne maîtrise pas au départ. Mais c’est une occasion de trouver de nouvelles solutions, faire de nouvelles découvertes. Ça suppose aussi d’accepter une part d’imperfection ; c’est une manière de combattre mon envie de tout contrôler.
Cela me permet d’éviter l’ennui, de ne pas rester en terrain connu, d’être toujours en recherche, comme une exploratrice.
Le livre jeunesse est présent dans votre travail. Le jeune public est quelque
chose qui vous intéresse ?
C’est évidemment un public qui me tient à coeur. Cependant, j’ai du mal à le
différencier, je trouve qu’on fait avant tout des livres pour les partager, sans chercher à cibler un âge en particulier. C’est important d’être aussi exigeant et ambitieux quand on réalise un livre pour les enfants que pour un lectorat adulte.
Je vais quand même me contredire immédiatement en parlant d’un projet de livre sur lequel j’ai travaillé avec le FRAC, pour les bébés ! C’était important de tenir compte des caractéristiques physiques des bébés, comme le fait qu’ils voient en noir et blanc jusqu’à l’âge de 6 mois par exemple. C’était la première fois que j’étais confrontée à ce genre de contrainte, qui a conditionné le livre ensuite, mais c’était aussi très stimulant.
Considérez-vous que l’édition jeunesse est plus subversive que les autres
médiums ? Y a-t-il plus de facilité à traiter des tabous et renverser les
normes ? Si oui, pourquoi ?
L’édition jeunesse est un terrain de jeux passionnant. Je ne dirais pas qu’elle est plus subversive, mais il y a de l’espace pour faire des choses ambitieuses et intéressantes. Je n’aime pas trop les livres à message, en revanche il y a des livres qui font passer des idées avec une grande subtilité, ou simplement racontent des choses qui nous touchent au coeur avec beaucoup d’intelligence et de justesse. Je pense au livre de Loren Capelli, « Cap ! » par exemple, qui met en scène une enfant dans la forêt, avec toutes ses sensations, son envie d’indépendance, le temps qui passe, quelque chose de très beau et profond, mais dont une certaine noirceur n’est pas absente non plus.
La couleur est très présente dans nombre de vos réalisations. Quelle rôle lui
donnez-vous ?
Auparavant, la couleur m’impressionnait et j’avais tendance à beaucoup utiliser le noir et blanc pour me rassurer. Pendant les deux ans passés aux arts décos de Paris, j’ai eu l’occasion de m’initier à la sérigraphie. Cette nouvelle technique a complètement changé mon rapport à la couleur, elle m’a appris à travailler avec la contrainte de gammes réduites, en aplat… j’ai découvert qu’en superposant, ou même en juxtaposant très peu de couleurs on pouvait les faire vibrer et en obtenir de nouvelles. Cela m’a complètement décomplexée et à présent j’ai beaucoup de plaisir à l’employer. Ma palette de couleur est assez réduite et marquée par les couleurs primaires. J’aime leur contraste et la signification forte qu’elles peuvent apporter aux images.
Êtes-vous déjà intervenue dans des établissements scolaire ? Si oui, quel(s)
message(s) aimez-vous transmettre auprès des élèves ?
J’interviens régulièrement dans les écoles primaires. C’est aussi arrivé dans des
lycées, et c’était aussi un échange un peu différent, très intéressant. Quand on fait un atelier ensemble, j’essaie de ne pas trop projeter mes envies et mes attentes sur les élèves, pour ne pas leur apporter un cadre trop rigide. L’idée c’est avant tout de partager un bon moment ensemble, de les désinhiber vis à vis du dessin (car bien souvent ils sont pétrifiés par le fait de ne « pas savoir dessiner »).
C’est important de montrer que le dessin ce n’est pas un don, mais un travail. Evidemment on est tous plus ou moins sensibles à différentes formes d’expression : l’écrit, le chant, la danse… mais j’aimerais qu’ils se disent que le dessin leur est accessible.
Interview réalisée par Gautier DIRSON, chargé de mission au service éducatif du Frac Picardie