Projet Double jardin
Comment le jardin intérieur des élèves peut-il penser et construire un jardin extérieur ?
Les élèves ne sont pas des pages blanches.
Quand les élèves entrent en classe, chacun a déjà un passé, des envies, une motivation…
Il est nécessaire de les connaitre.
Lors d’une sortie en forêt, certains ne voient que des arbres, d’autres identifient l’érable, le saule,
le noisetier … Nommer, c’est faire exister.
L’art permet d’exister.
Quand on affiche, on s’affiche.
Le jardin intérieur est un territoire personnel ou intime qui s’ouvre au travers du geste artistique : par la forme, par la couleur, par le mot…
En art, la main pense.
Puis, les regards clarifient les gestes par les mots.
Travailler en groupe pour apprendre seul.
En classe, l’enseignant s’attelle à suivre ce mouvement.
Par la confiance donnée aux élèves, il cherche à prendre de la distance pour tisser des liens. Il instaure un contexte favorable à la pousse de chacun de ses habitants.
Habiter : « habere n’est pas d’abord avoir, mais se tenir. Habitus désigne la manière d’être, ce qu’on appelle de façon révélatrice l’aspect extérieur, le dehors.
Habiter n’est en rien posséder, s’installer, se protéger. C’est au contraire s’exposer au dehors. » (Benoit Goetz, la dislocation, architecture et philosophie, 2001)
Il s’agit alors de donner la possibilité aux élèves de se tenir face aux autres, de donner la parole, de s’exposer pour partager les idées.
Enseigner est accompagner le présent, un présent qui se renouvelle à chaque année. Ecoutons ce que les élèves ont à exposer en dehors pour en saisir la fraicheur.
Découvrir et se découvrir, s’ouvrir aux idées des autres et chercher a comprendre des différences plutôt que vouloir a tout prix avoir raison.
Apprendre aussi que la végetation est bienveillante, elle cherche a construire aussi avec les agressions, elle cherche toujours a transformer les choses et les éléments de façon positive.
La botanique invite aussi a une façon de penser constructive.
Dans un jardin, le professeur serait un champignon souterrain, celui qui discrètement aide toutes les plantes, celui qui s’efforce à créer un équilibre.
L’artiste accompagne mais perturbe aussi, détourne pour mieux revenir.
ll accentue le climat de la classe, crée des bourrasques.
Les artistes et l’enseignant font pousser autrement le jardin. Ils ne cherchent pas à faire pousser plus vite, ils développent les racines en nourrissant la terre aux alentours. S’enraciner pour préparer la pousse.
Par la connaissance, par leurs regards croisés, ils augmentent l’élan créateur des élèves. Ils sollicitent le déjà-là pour le comprendre tout en rendant possible les pistes des élèves.
Décembre 2021 : Nolan propose de placer de grosses pierres pour pouvoir s’assoir et dessiner.
Juin 2022 : après des mois de recherches, trois énormes grès sont déposés dans le jardin.
L’adulte cherche à rendre possible les idées des élèves.
Dans ce projet, il s’agit de proposer un espace du collège à deux classes : une classe de 6e et une classe de 3e. La fraicheur des nouveaux arrivants et l’expérience des futurs partants.
L’espace se trouve être un passage obligé.
Un espace de plus de 500m² qui se trouve entre l’entrée du collège et la cour bétonnée du collège. Plus de 600 élèves transitent dans cet espace en arrivant le matin.
Le point de départ est proposé par l’enseignant d’arts plastiques (M.Smith) et les artistes (Ramuntcho Matta et Marjorie Méa) :
- Comment le jardin intérieur de chacun peut-il créer un jardin extérieur ?
- Comment l’art va-t-il permettre de se connaitre pour organiser un jardin collectif ?
Nous l’avons évoqué en introduction : la pratique artistique libère le geste et la parole. Les regards donnent confiance pour se livrer petit à petit.
Premier geste avec les 6e
Si j’étais une plante, quelle serait ma forme ? Quel type de végétal pourrais-je être ? Un chêne ? Une herbe sauvage ? Un fruit ? Une Liane ?
Découper dans des magasines, c’est encore une fois, ne pas partir d’une feuille blanche !
Accroché à l’élève, ce collage protège et relie.
Face aux autres, chaque élève s’affiche pour parler de soi.
Donner confiance par le regard de l’autre.
Se sentir appartenir déjà à un jardin…
Second geste
Marjorie Méa propose une graine sèche à chaque élève.
Comment la faire pousser ? L’eau est nécessaire… Comment le travail de l’aquarelle, de l’encre va-t-il faire développer cette graine ? Dans quels espaces ? De quelles manières ? Le geste oriente sur la manière de penser/voir le végétal.
Certains proposent des racines, d’autres travaillent à partir de plusieurs graines… Déjà se dessine une manière de penser qui sera développée en SVT avec Mme Balcaen.
Les élèves proposent des hypothèses artistiques, nées à la fois de l’imagination et du geste engagé. Le regard scientifique peut alors se nourrir ou non de ce geste graphique.
L’atelier danse avec Caroline Grosjean a permis aussi de questionner le jardin.
Encore une fois, le geste artistique anticipe la connaissance scientifique.
Les corps en mouvement, leurs relations à l’espace ont permis d’aborder certains aspects de la permaculture.
La graine de l’herbe sauvage qui s’invite dans un espace exiguë et qui déroge au projet du jardinier… l’entre-aide qui permet à Maëlys de sortir de son fauteuil roulant pour toucher le sol, l’architecture sur laquelle la plante prend appui… Bref, encore une fois, l’art ouvre sur d’autres domaines.
Le geste artistique se place en amont pour être clarifié, pensé par des regards croisés.
Swan en 6e propose un nom de jardin : le jardin enchanté.
C’est le nouveau gouvernail du projet. A la fois, ce jardin dira « enchanté » aux nouveaux arrivants, mais il cherchera à enchanter tous les usagers.
Pour Farah (3e) il faudra que le jardin transforme l’humeur de chacun des élèves. Un émerveillement quotidien nourri par des formes, des couleurs, des odeurs, des goûts, et des espaces les plus variés possibles.
Pour ce faire, nous proposons que chaque élève choisisse une plante ou un arbre.
Cette plante sera issu d’un choix motivé.
La seule contrainte est la rusticité de la plante. Elle doit pouvoir résister au froid hivernal de Château-Thierry.
Iliass propose la menthe qui lui évoque ses origines marocaines.
Pour Djessy, né sur l’Ile de la Trinité, ce sera un palmier.
Clélie, elle, fait référence à une culture empruntée, ce sera un cerisier à fleurs.
Bref, se dessine un jardin où la diversité s’affirme. Chaque élève affirme son jardin intérieur, tout en proposant un mouvement commun : créer ce jardin pour les autres.
Les échanges, les débats ont permis de clarifier les choix. En entrant en classe, les élèves savent que tout est possible. Tout est imaginable (même les arbres à pizza, ou les sorts lancés dans ce jardin…). Ce ne sont que des détours pour aller au plus profond de la réalité du jardin.
La rencontre des différents temps ont rendu difficile la plantation.
En effet, difficile de conjuguer le temps pédagogique, le temps des entreprises, le temps administratif, le temps scolaire et surtout le temps de la nature qui est celui qui prime.
La météo (sécheresse) ne nous a pas permis de planter durant cette année scolaire, mais tout est prêt pour agir en automne !
Cela n’a pas empêché de planter des sculptures ! Des bambous ont pu devenir le support d’un travail plastique et permettra d’être les repères pour la future plantation.
« - Qu’est ce que tu fais au collège ? - Jean Racine »
Ce projet a pour but d’accentuer le sentiment d’appartenance au collège. S’approprier un espace, c’est le respecter. Penser un espace, c’est le partager avec les autres. Les élèves ont d’ailleurs un accès privilégié à vie dans ce jardin. C’est eux qui ont posé le premier geste. Le jardin n’est pas une page blanche.
Les élèves ont pu étudier le déjà-là. Il s’agissait davantage d’herbes ou de plantes sauvages : plantain, ortie, orchidée sauvage, lierre… Et déjà, toutes ces plantes avaient des pouvoirs extraordinaires : possibilité de se nourrir, d’avoir de la vitamine C, de créer de la ficelle, de la couleur ou de la lessive !
Par leurs gestes, les élèves de 3e1 et de 6e4 ont pu augmenter cette richesse. En ne tondant plus la pelouse, cette richesse a pu exploser et faire apparaitre des hauteurs variées, des espèces qui, à cause de la tondeuse, ne pouvaient pas s’élever.
Le jardin est une métaphore du projet : ne pas chercher à avoir une pelouse, une herbe bien taillée, où chaque herbe est identique, mais bien de cultiver une prairie, où le laisser-faire favorise la diversité et la surprise.
Il s’agit de prendre conscience, pour l’élève comme pour tous les usagers de l’établissement, que les espaces interstitiels ne sont jamais neutres, il est bon de ne pas les rendre anodins. Le collège n’est pas qu’un contenant figé… Le « contenu » doit pouvoir aussi proposer des surprises pour modifier notre quotidien.
Par l’expérience d’habiter les espaces intersticiels, prendre conscience qu’il est possible aussi d’être habité.
Habiter, être habité.
Le 21 juin 2022, élèves, parents, professeurs, direction de l’établissement… ont pu partager un moment convivial qui donne à ce jardin tout son intérêt portée par les élèves : être ensemble. La poésie vivante des 3e initiée par M. Julien (français) a pu rencontrée la poésie écrite des 6e de M. Boutilly (français), tout en partageant ensemble les chemins proposés par les élèves, chemins visuels mais aussi sonores, par le travail de Mme Crocitti avec la classe de 6e.
Le jardin enchanté est aussi un jardin en chantier fait d’hypothèses, de pistes abouties ou non…
Exposés par les élèves, ces traces du projet en ébullition participent à l’échange entre les parents et les élèves…Les nombreuses projections des élèves de 3e sur les plans du jardin mis à l’échelle en Mathématiques avec Mme Clausse montrent cette richesse issue d’une jeunesse qui, quand on lui fait confiance, propose un monde où la diversité partage un espace commun duquel ils se rendent responsables.
Les élèves de 3e ont su dès le début qu’ils ne pourront pas occuper ce jardin en tant qu’élèves.
Cela ne les a pas empêcher de s’engager profondément dans ce jardin. C’est une de leur force !
En effet, construire un jardin (ou un monde) sans penser à son profit immédiat, sans penser à soi d’abord, mais en pensant au futur, à ses frères ou soeurs, à ses enfants… n’est ce pas finalement le geste écologique que le monde attend ?
M. Smith, enseignant en arts plastiques, qui remercie à nouveau Mme Torres, Cheffe d’établissement du collège Jean Racine qui a su nous faire confiance en affirmant la nature même du projet, par ces mots : « C’est parce que le résultat final n’est pas clairement défini, que je vous propose cet espace du collège ».
Dans ce contexte de confiance, les élèves ont donc la possibilité de construire leur projet et non celui du professeur. Collège Jean Racine, Château-Thierry